SPFA : ces substances pourraient-elles déclencher une crise semblable à celle de l’amiante?

Article15 juillet 2021

Des incertitudes entourent ces produits chimiques «éternels» en termes de produits et d’impact sur l’environnement, ainsi que des problèmes de responsabilité qui peuvent en découler.
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Une grande famille de produits chimiques anthropiques, communément appelés produits chimiques « éternels », constitue une source de préoccupation croissante pour les entreprises et les assureurs. Aux États-Unis, ces substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques (SPFA) sont au cœur d’importants litiges alléguant des dommages corporels ou matériels en partie stimulés par des mesures gouvernementales accrues. Les provinces et les territoires canadiens n’ont pas évolué au même rythme, la Colombie-Britannique étant la plus avancée dans la réglementation de ces substances et des directives fédérales devraient être publiées cette année.

Le débat sur la question s’est propagé à l’ensemble de la société avec des articles récents par d’importantes organisations médiatiques comme la CBC et des publications comme Maclean’s, ainsi qu’un film populaire Dark Waters. En juin dernier, plusieurs organes de presse ont présenté une étude qui a trouvé des SPFA dans environ la moitié des cosmétiques vendus en Amérique du Nord. En raison de son omniprésence, la plupart d’entre nous ont déjà été affectés par les produits chimiques éternels à divers degrés. Une étude de Santé Canada a révélé que 98,5 % des Canadiens ont des SPFA dans leur sang1.

Que sont les SPFA ?

Les substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques (SPFA) constituent une classe de plus de 5 000 produits chimiques qui se composent de plusieurs atomes de fluor fixés à un squelette de carbone. Cette liaison carbone-fluor, qui est la plus forte en chimie organique, est ce qui rend ces composés si utiles pour les applications industrielles. C’est également la raison pour laquelle les produits chimiques « éternels » sont extrêmement persistants et mobiles dans l’environnement.

Peu après leur découverte accidentelle par DuPont dans les années 1930, les SPFA ont été largement utilisés pour leurs propriétés de résistance à l’eau, à la chaleur et à l’huile. On les trouve aujourd’hui dans presque tout, des cosmétiques dont il a été question ci-dessus aux vêtements de plein air imperméables, en passant par le revêtement intérieur des emballages de restauration rapide et des tasses à café, et les ustensiles de cuisine antiadhésifs. Les applications industrielles sont nombreuses, notamment dans le chromage, l’électronique et le revêtement des oléoducs. L’utilisation des SPFA dans les mousses anti-incendie est peut-être celle qui intéresse le plus les propriétaires. La mousse aqueuse de lutte contre l’incendie a été une source majeure de contamination des eaux souterraines dans les zones à proximité des raffineries de pétrole, des aéroports, des usines chimiques, des bases militaires et des centres de formation à la lutte contre l’incendie. Inévitablement, l’élimination des débris contaminés par la mousse aqueuse après un incendie entraîne également la contamination à grande échelle des décharges municipales.

Impact sur la santé et l’environnement — notre compréhension actuelle

Même si la plupart des Nord-Américains ont une certaine quantité de SPFA dans leurs systèmes, ce sont les communautés les plus proches des principales sources de production et d’utilisation de ces substances qui sont les plus touchées. Non seulement la réglementation des SPFA est en cours d’élaboration, mais la science l’est aussi. Jusqu’à très récemment, on ne reconnaissait guère que ces produits chimiques pouvaient constituer un risque réel pour la santé et l’environnement. Il existe toujours une grande incertitude scientifique quant à la quantité maximale de SPFA dans votre système, et pour qui, ce qui complique les directives que les gouvernements peuvent imposer.

La plupart des spécialistes s’accordent à dire qu’ils présentent le plus grand risque pour les femmes enceintes et allaitantes, ainsi que pour les jeunes. Des recherches récentes ont établi un lien entre les PFAS et une myriade de problèmes de santé, dont un poids faible à la naissance, une augmentation du cholestérol, des cancers et des problèmes de thyroïde. Ces composés ont même été impliqués dans l’aggravation de notre susceptibilité à la COVID-19 grave, et la réduction de l’efficacité des vaccins. Tout comme le mercure, les SPFA s’accumulent, ou se bioaccumulent, dans les corps des humains et des animaux qu’ils consomment. Ils se déplacent bien et rapidement dans l’environnement, ce qui a entraîné un transport important vers les communautés du Nord.

Options de traitement

Contrairement à certains polluants courants, les SPFA ne se dégradent pas naturellement dans l’environnement. L’utilisation des options de traitement conventionnelles s’est avérée inefficace et coûteuse. De plus, la présence d’autres contaminants dans le sol et les eaux souterraines — comme cela peut être le cas dans les sites industriels de longue date — peut compliquer l’assainissement des SPFA. La méthode la plus répandue est celle des systèmes de pompage et de traitement ex-situ, qui peuvent être coûteux et difficiles à mettre en œuvre lorsque la contamination est largement répartie sur un site.

Toutes les options d’assainissement ne sont pas appropriées pour tous les types de SPFA. Le traitement dépend largement du type de PFAS présent, car les variétés à longue chaîne ont une demi-vie plus longue que les composés à courte chaîne. In situ, la création de barrières peut être une option pour contenir le panache de SPFA et empêcher sa migration hors du site. Cette solution peut être utilisée conjointement avec d’autres options, comme l’excavation et l’élimination. Bien entendu, le sol ou les eaux souterraines éliminés devront eux-mêmes être traités par des moyens tels que l’incinération.

Et maintenant ?

La difficulté pour les assureurs et les assurés réside dans le fait que les tests pour les SPFA ne constituaient pas une partie obligatoire de la diligence raisonnable avant une transaction immobilière. Aux États-Unis, un projet visant à cartographier la contamination a permis de trouver des milliers de sites touchés. La production des composés SPFA à longue chaîne les plus étudiés et les plus inquiétants — à savoir à savoir l’acide perfluorooctanesulfonique et l’acide perfluorooctanoïque — a largement été abandonnée en Amérique du Nord et en Europe il y a des années. Il est important de noter qu’ils sont encore importés au Canada en vertu d’une exemption pour certaines utilisations essentielles2. Entre-temps, leur production a augmenté en Russie, en Inde et en Chine, compensant les réductions ailleurs dans le monde. Dans les économies développées, d’autres composés SPFA ont été introduits pour remplacer l’acide perfluorooctanesulfonique et l’acide perfluorooctanoïque. On pensait à l’origine que les composés SPFA à chaîne courte ou GenX étaient plus sûrs que leurs prédécesseurs à chaîne longue. Des études récentes ont jeté le doute sur leur prétendue sécurité, en révélant qu’ils pouvaient avoir des effets néfastes similaires sur la santé des animaux3. Pour ces raisons, certains experts demandent une plus grande coordination internationale pour réglementer la production et l’utilisation des SPFA. De plus, le marché devra adopter une approche fondée sur le cycle de vie complet des produits et passer à des produits et des technologies sans SPFA. Des solutions de remplacement sont déjà utilisées pour les textiles et les emballages, tandis que la mousse anti-incendie sans SPFA est jugée tout aussi efficace pour contenir les incendies chimiques.

Pour ce qui est de la pollution historique, il n’y a aucun moyen d’éviter l’héritage des SPFA pour les entreprises et les consommateurs. L’omniprésence du problème et son potentiel d’action collective font en sorte que certains spécialistes de l’industrie établissent des parallèles avec la crise de la responsabilité de l’amiante. Comme DuPont et 3M peuvent en témoigner, les fabricants historiques de ces produits chimiques sont des cibles évidentes pour les litiges. Les détaillants, les distributeurs et même les municipalités peuvent être impliqués dans les récentes plaintes relatives aux PFAS. Il est difficile de dire qui, dans la chaîne d’approvisionnement, sera à l’abri des responsabilités liées aux produits et à l’environnement. Alors que les actions en justice et les réglementations se multiplient dans le monde, Zurich Insurance Group engage actuellement un dialogue avec les principales parties prenantes sur cette question. Nous continuons de travailler avec l’aide de nos ingénieurs de risque pour mieux évaluer, atténuer et gérer les risques associés aux SPFA.

 

1 Cinquième rapport sur la biosurveillances humaine des substances chimiques de l’environnement au Canada, Santé Canada, novembre 2019.
2 Interstate Technology and Regulatory Council (ITRC). PFAS Technical and Regulatory Guidance Document and Fact Sheets: PFAS-1. May 2021.
3 U.S. Environmental Protection Agency (EPA). “Fact Sheet: Draft Toxicity Assessments for GenX Chemicals and PFBS.” November 2018.